Oreilles de buffle et corruption

Ecrit par Assia, Ibtissame et Fahamyat
Photos : Inès

Quartier des tanneries de Kanpur. L’air est imprégné d’une odeur nauséabonde, le sol est tapissé d’innombrables monticules de peaux qui sèchent.


La totalité de la cour d’une tannerie y compris le toit est jonché d’oreilles de buffles et de chutes de peaux qui sèchent sur des bâches, qui serviront à l’élaboration de jouets pour chiens.

Le traitement des peaux se fait en plusieurs étapes : tout d’abord les peaux sont plongées dans une profonde fosse immonde où elles sont lavées afin d’être ramollies, puis elles sont mises dans la chaux qui les ronge et les décape, ensuite elles sont placées dans une cuve qui tourne avec du peroxyde d’hydrogène qui termine de les décaper et de les blanchir ; enfin elles sont mises à sécher.

Les tanneries sont accusées de polluer le fleuve, c’est pour cela que depuis 1995 et le « Ganga Action Plan » elles sont soumises à des règles visant à contrôler les eaux usées. Elles doivent afficher les noms des différents produits chimiques utilisés et chacune doit posséder sa propre station de traitement afin de purifier une première fois les eaux avant de les envoyer dans la station de traitement du Gouvernement. Les tanneurs s’en plaignent, notamment à cause des fortes odeurs,  et demandent à ce que toutes les eaux soient directement déversées dans la station d’Etat car ils ont payé pour sa construction et versent des taxes.

Un tanneur affirme que le nombre de tanneries s’élève à 400 à Kanpur, et qu’elles déversent entre 15 et 20 millions de litres d’eaux usées par jour. La vérité est toute autre puisque selon l’ONG Eco Friends le nombre de tanneries se situe entre 400 et 600, et elles déversent 30 millions de litres d’eaux usées par jour.



Or la station de traitement d’eau du Gouvernement ne peut prendre en charge la totalité des eaux usées des tanneries. Elles déversent 30 millions de litres d’eaux usées par jour alors que la station de traitement d’eau a une capacité de 30 à 35 millions de litres d’eaux usées par jour dont 20 à 27 millions viennent des habitants de la ville. Ainsi, selon un ouvrier qui s’est confié à l’ONG Eco Friend, 20 millions de litres d’eaux usées par jour, contenant des produits extrêmement toxiques (chrome, bromure, chaux…) sont déversés directement, sans traitement, dans le Gange, souvent de manière clandestine, la nuit.

A cela vient s’ajouter le problème de la station d’épuration qui ne traite pas correctement les eaux usées. Les canaux qui en sortent déversent une eau trouble et pestilentielle : de toute évidence… elle n’est pas propre. Nous apprenons que les ingénieurs de cette usine, corrompus, n’utilisent pas l’hélium, pourtant capital pour le processus de traitement des eaux usées, mais le revendent.


Ces eaux « traitées » sont utilisées par les agriculteurs et sont acheminées directement pour l’irrigation des champs. Les habitants des  villages avoisinants sont atteints de nombreuses maladies de peaux, de cancer, de cheveux blancs, de dépigmentation de la peau, perte d’ongles et maux de ventres. C’est pour ces raisons que les villageois se méfient et ne veulent plus qu’on les prenne en photos car beaucoup de personnes leur ont rendu visite pour leur donner de l’aide mais sans résultat.

Il y a plusieurs responsables à ce désastre écologique et tous les protagonistes nient leur implication. En effet, malgré les lois de 1995, le Gouvernement continue à autoriser la construction des tanneries alors que les usines ne peuvent pas traiter toutes les eaux usées, car les tanneurs sont puissants et représentent un poids politique déterminant face à la question de l’eau. L’Uttar Pradesh Pollution Control, qui est chargé de contrôler la pollution des eaux et de faire respecter les lois de 1995, n’agit pas.

Où sont passés les 9 milliards de Roupies du Ganga Action Plan ? Qui sauvera le Gange de la corruption ?


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6 commentaires:

  1. vos reportages sont toujours très bien fait

    bon courage pour continuer

    colette

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  2. Je viens de lire tous les reportages d'un coup, et je suis bluffée par la pertinence de vos propos, la justesse et la sensibilité de vos images, la qualité de votre regard ! Bravo, et merci de nous faire partager si justement vos rencontres, qui nous font mesurer la complexité de l'Inde et la difficulté à engager des politiques qui pourraient assurer le mieux-être de tous face à la corruption. Mme Marzin

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  3. Vos articles sont bluffants quel plaisir de sentir que vous donnez le meilleur de vous-même, de vous sentir impliqués et concernés! Bravo! J'attends la même implication à votre retour, car vous avez à présent votre futur à construire, nous savons tous ce dont vous êtes capable, je suis très fière de vous! Take care. Ms Malaurie

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  4. "Qui sauvera le Gange ?"j'ai bien peur que ce ne soit pas vous même si vous êtes plein de bonnes intentions. Surtout ne ramenez pas cette odeur dans vos bagages. On est tout de même bien chez nous hein ? est-ce que ce voyage vous a donné des envies de faire de l'humanitaire ou de rejoindre des ONG ? Moi j'ai ressenti une tristesse et un découragement devant l'ampleur de la tâche à accomplir et une colère de constater qu'il devient "normal" pour le développement d'un pays de mettre à mal la planète. Amitiés

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  5. Il n'en reste pas moins que la tannerie est l'une des industries les plus polluantes qu'ils soient.
    Prendre la décision de fermer ces tanneries responsables en partie de la pollution. Que font les autorités locales ??
    Encore un reportage très enrichissant avec de magnifiques photos bien choisies.
    Amitiés

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  6. vous êtes capable de produire des reportages très intéressants!

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